Suivi scientifique du programme de restauration écologique et hydraulique du Rhône
Etude des invertébrés aquatiques des annexes fluviales dans le cadre du suivi scientifique du programme décennal de restauration hydraulique et écologique du Rhône français. Dès 2003 et prévu jusqu’en 2013.
Contexte de la recherche, objectifs du projet
Le Rhône français présente tout au long de son cours des tronçons dits « court-circuités » dans lesquels une grande partie de l’eau est déviée, via un canal d’amenée, vers une centrale hydroélectrique. Dans ces tronçons court-circuités, le lit naturel « actif » du Rhône est réduit et nombre de ses « bras » ou chenaux latéraux, appelés « lônes », se sont fortement atterris durant les dernières décennies, allant jusqu’à se déconnecter parfois totalement du lit principal. Le programme décennal (2003-2013) de restauration du Rhône français comporte plusieurs mesures visant à restaurer le fonctionnement des lônes, notamment en recreusant les secteurs atterris et en augmentant les débits dans le Rhône naturel. Dans le secteur du Haut-Rhône (Bourget-Lyon), 24 lônes ont ainsi été restaurées pour favoriser la biodiversité et notamment renforcer l’axe migratoire piscicole.
Notre participation à ce projet consiste à :
- accompagner les travaux de restauration et plus précisément d’évaluer les conséquences sur la macrofaune invertébrée aquatique : l’augmentation des débits dans le Rhône « naturel » modifie-t-elle, améliore-t-elle les milieux ? Comment la faune invertébrée se distribue-t-elle dans les différents milieux et comment réagit-elle ? Que se passe-t-il après la reconnexion de chenaux anciennement atterris ? Ce volet des recherches intéresse directement le maître d’ouvrage, responsable du bon déroulement des mesures de restauration.
- décrire en détail les liens entre la faune invertébrée et les paramètres du milieu (courant, température de l’eau etc) et de développer des modèles permettant de prédire le comportement de cette faune, en particulier des espèces « invasives », à dispersion souvent rapide, et des espèces d’intérêt élevé, dites« patrimoniales ». Ici, des prélèvements et analyses additionnels permettent de documenter plus à fond la diversité biologique des milieux, le fonctionnement des écosystèmes alluviaux et de développer de manière moins « directement » appliquée des modèles prédictifs en milieu alluvial. A moyen terme, une analyse comprenant différents secteurs diversement anthropisés sera aussi effectuée. Ce volet de la recherche fait l'objet d'une thèse en cours.
Nos partenaires de l’Université de Lyon étudient en parallèle les effets de la restauration sur les invertébrés du Rhône lui-même, sur la végétation aquatique des lônes, sur les poissons ainsi que sur la morphologie des chenaux (sédimentologie).
Mots-Clés
Restauration, zone alluviale, invertébrés, modélisation, prédiction, connectivité, espèces invasives, espèces patrimoniales, Anisus vorticulus, Coleoptera, conservation
Financement
- DIREN Rhône-Alpes
- Agence de l’Eau
- Compagnie Nationale du Rhône
Synthèse des principaux résultats
Qu’est-ce qu’une lône ?
Les lônes sont des chenaux latéraux qui sont connectés ou non au lit principal du fleuve, la Fig ci-dessous tirée de Amoros & Petts (1993) schématise la relation entre l’indice de connectivité et la morphologie (connectée ou non, à l’amont ou/et à l’aval) de la lône.
Lône des Luisettes, près de Belley.
Quel est l’état des lônes avant travaux ?
Le suivi scientifique a pour premier objectif de décrire l’état initial des milieux (lônes) et des peuplements d’invertébrés. Sur chaque lône, un site « amont » et un site « aval » sont échantillonnés 2 x / an. A l’intérieur d’un quadrat métallique de 50 cm de côté, les paramètres environnementaux sont relevés à l’échelle du micro-habitat (qualité du substrat, de la végétation, hydrologie) et la faune prélevée à l’aide d’un troubleau. A l’échelle du site, on relève différents paramètres morphométriques et physico-chimiques, ainsi que la lumière incidente et la qualité des milieux environnants.
Lister les taxa collectés ne suffit pas à décrire correctement le fonctionnement de la communauté, c’est pourquoi nous avons mis au point des « métriques » fonctionnelles permettant de décrire non seulement l’état et l’évolution de la diversité biologique mais encore des processus fonctionnels (cycle de la matière organique, ressources trophiques pour les prédateurs, etc). La mise au point des métriques se base sur l’utilisation des « traits » qui caractérisent les organismes collectés.
Lire PAILLEX A., CASTELLA E. & CARRON G. 2007. Aquatic macroinvertebrate response along a gradient of lateral connectivity in river floodplain channels. Journal of the North American Benthological Society. 26(4) : 779-796 (résumé / abstract ci-dessous) pour voir comment la connectivité et les autres paramètres structurent les peuplements d’invertébrés et modifient les processus fonctionnels.
Abstract. Large river floodplains potentially include the full range of freshwater ecosystems from permanently flowing channels to temporary pools and springs. Attempts to restore such complex systems require tools adapted to assess restoration success. In an analysis of invertebrate assemblages in the Rhône River floodplain (France), taxonomic-based indices (rarefied richness and assemblage composition) were compared with functional metrics using trait-based ratios as surrogates of ecosystem processes. Their ability to respond to a gradient of hydrological connectivity was assessed in 7 cut-off channels. The sampling design included 2 sites/channel (upstream and downstream), 4 randomly chosen sampling points (0.5 x 0.5- m quadrats)/site, and 2 sampling seasons (spring and summer). Water physicochemical and habitat variables were recorded when invertebrates were sampled. Environmental variables, including water conductance, [NH3-N], submerged vegetation cover, diversity of sediment grain size, and organic matter content of the sediment, were used to construct a synthetic variable describing the hydrological connectivity of each site with the main river channel. A quadratic regression of rarefied taxonomic richness and the connectivity gradient was not quite significant, but assemblage composition was strongly related to the gradient. Four of 8 trait-based metrics were correlated with the connectivity gradient. Values of metrics that are surrogates for top-down control of assemblage structure and habitat stability (based on functional feeding groups) declined along the gradient from disconnected sites to more connected sites. Values of metrics that are surrogates for voltinism and food supply for water-column-feeding fish increased with connectivity. Top-down control and voltinism surrogates suggested a decline in predator–prey relationships and lower habitat stability, respectively, in the more connected sites. Assemblage composition and some of the trait-based metrics were sensitive to a flood that occurred before one of the sampling dates. Some of the trait-based metrics showed potential for explaining floodplain invertebrate assemblages and for monitoring postrestoration conditions in floodplain water bodies. However, the metrics were developed initially for studies of lotic systems and their use in heterogeneous floodplain water bodies will require further investigation, e.g., delineation of reference conditions for trait-based metrics.
Quels sont les changements observés après restauration ?
Pour le moment, seules les lônes du secteur de Belley ont fait l’objet d’observations post-restauration, 3 ans après l’état intial, comme le prévoit le protocole de suivi. Les sites du secteur de Bregnier-Cordon ont été ré-échantillonnés en 2008. Les résultats ont fait l’objet d’un rapport pour le maître d’ouvrage.
Avant travaux (image ci-dessous), certaines lônes étaient fortement atterries, la végétation riveraine tendait à envahir les plans d'eau.
Les effets des mesures de restauration sur les milieux sont variables et dépendent du type d'intervention: léger curage ponctuel, curage profond, recreusage avec (image ci-dessous) ou sans reprofilage des rives, etc. Lorsquela lône est reconnectée au chenal, une nouvelle voie de communication est créée pour les poissons et le reste de la faune.
Un léger curage et une remise en eau grâce à l'élévation des niveaux d'eau (par l'augmentation des débits) permettent de créer des milieux d'eau claire, peu profonde, de très grand intérêt pour la faune et la flore aquatique et hygrophile. Ces milieux, moins riches en poissons, sont d'autant plus appréciés par les insectes aquatiques.
Que nous apportent les modèles de prédiction ?
Ce n’est pas une chose aisée de modéliser la diversité biologique dans un ensemble d’écosystèmes aussi complexes qu’une zone alluviale (qui plus est modifiée par les activités humaines). Les modèles développés jusqu’ici permettent de prédire, à partir des paramètres du milieu, quelles sont les caractéristiques de la faune macroinvertébrée qui est attendue.
Pourquoi suivre en détail les espèces invasives ?
Cet objet de nos recherches nous est rapidement apparu comme de première importance et a été ajouté au suivi général. Plusieurs espèces d’invertébrés (pour ne parler que de ces organismes !) non indigènes sont actuellement en cours d’expansion dans le système rhodanien. Dugesia tigrina (Turbellaria), Physella acuta / heterostropha, Gyraulus parvus, Potamopyrgus antipodarum (3 Gastropoda) et Corbicula fluminea (Bivalvia) sont les plus fréquemment recontrés dans les lônes étudiées (Bregnier-Cordon et Belley). La bien connue moule zébrée Dreisseina polymorpha et l’écrevisse américaine Orconectes limosus s’observent ponctuellement. Enfin, deux espèces de gammares (Amphipoda), Dikerogammarus villosus et Crangonyx pseudogracilis, sont apparues très récemment dans le secteur et paraissent en rapide expansion, surtout la première espèce. Le dernier « exotique » découvert est Hypania invalida (Polychaeta), qui vient d’être collecté par notre équipe dans le secteur de Belley.
Le chenal du Rhône joue un rôle évident pour la dispersion de ces organismes, qui se retrouvent également rapidement dans les chenaux courants des lônes restaurées ; Gyraulus parvus constitue une exception et colonise exclusivement les lônes déconnectées (d’apparence « étangs »). Les conséquences sur les écosystèmes sont actuellement en cours d’étude, les effets potentiellement les plus négatifs étant pressentis de la part du Dikerogammarus, connu pour êtreun vorace prédateur. Gyraulus parvus remplace G. albus dans plusieurs sites, après restauration, sans toutefois que des phénomènes de compétition puissent pour le moment être mis en évidence. Le même G. parvus pourrait également menacer Anisus vorticulus (voir projet de conservation de cette espèce) dans les quelques stations où survit cette rarissime espèce. Lire le master de Monbertrand 2006 qui présente les préférences écologiques et les hypothèses de dispersion de ces espèces exogènes - résumé FR et summary EN ici:
Une thèse de doctorat (A.-L. Monbertrand) est en cours sur le même sujet.
Dikerogammarus villosus, une espèce non indigène à tendance invasive dans le Rhône; l'espèce est déjà abondante dans le lac Léman.
Quels effets sur les espèces patrimoniales ?
Un certain nombre d’espèces menacées figurent sur des listes rouges ou d’espèces déterminantes pour désigner divers types de zones d’intérêt pour la conservation. Les plus connues et contraignantes sont la liste des espèces protégées en France et les annexes II et IV de la Directive Habitat. Les travaux de restauration devraient favoriser les espèces menacées, ou tout au moins ne pas péjorer leur situation. Il n’est pas prévu d’étudier en détail chacune de ces espèces mais une surveillance générale est effectuée d’après ce qui est récolté dans nos échantillons. La situation du gastéropode Anisus vorticulus (Annexe II Dir. Hab.) fait l’objet d’une étude spécifique, qui vise à actualiser sa distribution, définir les paramètres écologiques déterminants et à modéliser sa distribution potentielle.
Premiers effets constatés sur les coléoptères aquatiques
Les coléoptères aquatiques, particulièrement bien diversifiés dans certaines lônes déconnectées, ont été inventoriés avant et après restauration dans quelques lônes du secteur de Belley. Lire :
Carron G, Paillex A & Castella E. 2007. Les coléoptères aquatiques de la zone alluviale du Rhône à Belley (France: Ain, Savoie): inventaire et observations préliminaires sur les effets des mesures de restauration. Mitteilungen der Schweizerischen Entomologischen Gesellschaft 80 : 191-210. Résumé / Abstract et article complet sur la page du premier auteur.